Un procès pour plagiat en Grande-Bretagne

 

Un tribunal anglais a décidé qu’une photographie d’un bus rouge devant le palais de Westminster pouvait être le plagiat d’une oeuvre préexistante.
Les deux photographies en cause.
L’article d’AmateurPhotographer qui a attiré mon attention sur cette affaire et le jugement dans son intégralité.

L’affaire ne devrait pas manquer de sel pour les lecteurs assidus de Culture Visuelle, car le “spot” photographique est celui qui est dénoncé par le tag de Bansky “this is not a photo opportunity” dans la photographie qui ouvre l’article de Raphaele Bertho consacré à “l’injonction paysagère”.

Les photographies en cause sont particulièrement intéressantes parce que le sens commun (cf Bansky) voudrait que l’originalité d’une photographie relève de son sujet, alors qu’en matière de droit d’auteur l’originalité ne se définit pas par rapport au sujet, mais par rapport à l’oeuvre. Ce n’est pas l’idée qui est protégée par le droit d’auteur, mais son exécution. Ce jugement est également intéressant parce que l’esthétique de ces images est indissociable des effets visuels que l’on peut obtenir avec un logiciel de traitement numérique.

Pour le plaignant, la contre façon est évidente. Les deux images sont trop ressemblantes pour que ce ne soit pas le résultat d’une volonté délibérée.
La défense se défend d’avoir réaliser une copie servile, parce que son image a été réalisée, contrairement à la photo de l’accusation, en réalisant un montage à partir de différentes photographies (dont une photo achetée à Istockphoto).
“To produce the second work, the one with which this case is concerned, Mr Houghton took four photographs. Three were of different aspects of the Houses of Parliament and the fourth was a picture of a red Routemaster bus while it was stationary on the Strand. Of the three, one photograph showed the facade of the Houses of Parliament, one showed Big Ben and one showed part of Big Ben with Portcullis House across the road. Mr Houghton explained how the defendants’ work had been produced by Sphere Design. They combined and manipulated Mr Houghton’s images as well as an iStockphoto image of a Routemaster bus. The bus was resized to fit and the road marks were changed to be consistent. The stock image was used for parts of the bus.”
Le cadrage est également différent et certains éléments de la première photo sont absents de la seconde. Les éléments présents dans les deux photos, les bus londoniens, le palais de Westminster, sont des sujets d’une grande banalité, photographiés tous les jours par des milliers de touristes, sur lesquels le plaignant ne saurait prétendre avoir une quelconque exclusivité. Et en ce qui concerne le traitement dans Photoshop, l’accusé ne peut prétendre avoir d’exclusivité sur un procédé technique qui consiste à présenter un bus rouge sur une image noir & blanc. Ne serait-ce que parce qu’il existe de nombreuses photographies, réalisées antérieurement, qui ont utilisé ce procédé pour mettre en valeur une icône visuelle.

L’originalité de l’image:
Pour qu’il y ait contre-façon, il faut que la photo contrefaite soit protégée par le droit d’auteur.
Le juge utilise la jurisprudence européenne pour dégager trois aspects d’une photographie qui permettraient de caractériser son originalité.
– Le cadrage et la perspective, la lumière et les ombres, les effets liés à des filtres ou à des techniques de développement.
– La mise en scène.
– Le fait d’être au bon endroit au bon moment.
Il en conclut que c’est la composition d’une image qui est la source de son originalité, car c’est la conséquence de l’angle de la prise de vue, de la profondeur de champ et de l’instant choisi par le photographe pour prendre sa photo. Dans le cas qui lui est soumis, un nouvel élément participe de cette originalité, le post-traitement dans Photoshop qui va modifier la lumière, les couleurs, la perspective et la mise en scène en lui permettant de supprimer ou d’introduire de nouveaux éléments dans la prise de vue.
“Plainly the claimant’s work is original and I so find. It is the result of Mr Fielder’s own intellectual creation both in terms of his choices relating to the basic photograph itself: the precise motif, angle of shot, light and shade, illumination, and exposure and also in terms of his work after the photograph was taken to manipulate the image to satisfy his own visual aesthetic sense. The fact that it is a picture combining some iconic symbols of London does not mean the work is not an original work in which copyright subsists. The fact that, to some observers, icons such as Big Ben and a London bus are visual clichés also does not mean no copyright subsists. It plainly does.”
Le fait que cette photographie ait été prise sous un angle qui n’a rien d’original n’est pas, aux yeux du juge, un argument qui permettrait de la disqualifier en tant qu’oeuvre de l’esprit parce qu’elle répond à un intention, à un projet artistique de son auteur.
“He wanted to create a single, modern and iconic scene of London. Having taken images of the river and the Houses of Parliament for many years Mr Fielder knew where to stand. In fact the place he stood is where many tourists also stand with their cameras. He knew he would be able to capture the bus heading to the south side of the river and thus show the front of the vehicle. He could ensure that other landmarks, i.e. Parliament, Westminster Bridge, and the river, were included and he would have a strong skyline.”
Et le fait que la prise de vue ait été modifiée dans Photoshop, n’empêche pas l’oeuvre de rester un travail photographique même si ce n’est plus tout à fait une photographie. (Là j’ai un peu de mal avec la traduction, mais je pense que c’est l’idée.)
” Mr Fielder’s image is not what I will call a mere photograph; by which I mean an image which is nothing more than the result of happening to click his camera in the right place at the right time. I do not need to grapple with the scope of copyright protection arising from such a photograph. Mr Fielder’s image could perhaps best be called a photographic work; by which I mean to emphasise that its appearance is the product of deliberate choices and also deliberate manipulations by the author. This includes choosing where to stand and when to click and so on but also includes changes wrought after the basic image had been recorded. The image may look like just another photograph in that location but its appearance derives from more than that.”

La contrefaçon:
L’argument de l’accusé consistant à dire que sa photo n’est pas une copie servile parce qu’il n’a pas pris son image du même endroit que le plaignant et qu’elle est le résultat d’un montage de trois images différentes est rejetée par le tribunal qui y voit même la volonté de l’accusé de contourner le droit d’auteur en utilisant plusieurs images pour ne pas être accusé d’avoir réaliser sa prise de vue à l’identique de celle du plaignant.
” The defendants’ work was created from photographs Mr Houghton took himself. It is also quite obvious that the point of the exercise was to avoid infringing. Mr Houghton was clearly trying to avoid infringing. His and his company’s case is that the claimant cannot use copyright law in effect to give them a monopoly in a black and white image of the Houses of Parliament with a red bus in it. He clearly knew about the claimant’s work when the second image was produced because the whole point of the exercise was to produce a non-infringing image given the complaint about the first image the defendants had used.”

Le juge considère que pour savoir s’il y a eu plagiat, si une part significative d’une création artistique a été copiée, il faut considérer ce qui dans l’oeuvre relève de la personnalité de l’auteur et qui aurait été copié. La question n’est donc pas de savoir s’il a créé son oeuvre à partir de techniques ou de motifs qui n’ont rien d’originaux, mais si leur utilisation a permis à l’auteur de créer une oeuvre qui porte l’empreinte visuelle de sa personnalité.
“Although the techniques used by Mr Fielder to achieve the effect he did may have been simple, the result has an aesthetic quality about it which is the product of his own work. “
“Visual significance must also be relevant to infringement and to the question of whether a substantial part of an artistic work has been taken. What falls to be considered, in order to decide if a substantial part of an artistic work has been reproduced, are elements of the work which have visual significance. What is visually significant in an artistic work is not the skill and labour (or intellectual creative effort) which led up to the work, it is the product of that activity. The fact that the artist may have used commonplace techniques to produce his work is not the issue. What is important is that he or she has used them under the guidance of their own aesthetic sense to create the visual effect in question. Just because the Act provides for copyright in these original artistic works irrespective of their artistic quality (s4(1)(a)), does not mean that one ignores what they look like and focuses only on the work which went into creating them.”

Sur le plan des principes, en tant que photographe, je ne peux que me réjouir de ce jugement qui consacre avec vigueur le caractère d’originalité de la photographie.
Cette décision soulève cependant des questions. Où s’arrête l’influence et où commence le plagiat?

Je suppose que ce qui a joué dans ce cas d’espèce, même si le juge a écarté cet aspect sans doute parce qu’il est distinct de la réflexion sur le droit d’auteur, c’est que le préjudice économique subi par le plaignant était évident. (What is behind this case is that the defendants’ tea tins and boxes are sold side by side with souvenirs bearing the claimant’s image. I have been shown pictures of this in the evidence. There is a hint of an allegation of unfair competition or some sort of confusing similarity of the kind seen in a passing off case. I have ignored that evidence. Whether or not consumers confuse the products of the parties (or their licensees) is not the issue).

Si on considère l’économie de la photographie, cette décision me semble intéressante pour les photographes professionnels. De plus en plus d’agences en ligne adressent des courriels à des photographes dont ils assurent la commercialisation des photos d’archives avec des demandes très précises de clients concernant un sujet que ceux-ci n’ont pas trouvé en stock. Souvent la demande est illustrée par une photo qui prouve qu’il existe une image pré existante. Mais soit cette image n’est pas disponible, soit elle est jugée comme étant trop chère par le client. La rémunération proposée à celui qui fera la photo qui sera retenue est généralement d’autant plus modique que la commande est aléatoire, mais très supérieure aux rémunérations pratiquées par les micro-stocks. Ce type de jugement pourrait devenir un frein à ces pratiques qui participent à la baisse de la valeur économique de nos images.

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A propos de Thierry

Je suis photographe indépendant depuis 1981. Photographe publicitaire et industriel je travaille pour des agences de publicité et des entreprises.

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