La sensibilité du film ou du capteur numérique

Historique:
Si le principe de la chambre noire est très ancien, il a fallu attendre 1822 et Nicephore Nièpce pour qu’enfin on sache comment fixer cette image que l’on pouvait observer dans la chambre noire. En 1840 lorsque la photographie de portrait a commencé à se développer, les émulsions utilisées par les photographes étaient très peu sensibles à la lumière. La séance de pose portait bien son nom car il fallait s’exposer en plein soleil pendant de longues minutes pour laisser une trace sur le papier ou la plaque de verre. Lorsqu’en 1860, fut inventé un nouveau procédé avec l’emploi de plaques négatives sensibilisées au collodion humide et que la pose fût réduit à 5″, on pensa avoir découvert “la prise de vue instantanée”.
C’est ce qui explique les poses très rigides adoptées par les gens sur les photos anciennes. Le bras s’appuie sur une colonne, la tête est tenue par un dispositif dissimulé dans une draperie “à l’antique” pour ne pas bouger pendant les 5 ou 10 minutes nécessaires à l’exposition de l’émulsion. (Le premier chapitre du livre de Jean Sagne “L’atelier du photographe” donne une description très réjouissante de ces premières séances de pose.)
Les progrès ont été rapides, de plusieurs minutes, on est passé à plusieurs secondes, puis à des 1/10ème de seconde et on a pu figer des mouvements rapides et découvrir ce que l’on ne pouvait voir à l’œil nu.

Aujourd’hui:
Selon le film que l’on va charger dans son appareil argentique, ou le réglage que l’on va sélectionner sur son appareil numérique, on aura besoin de plus ou moins de lumière pour que l’image projetée par l’objectif dans l’appareil puisse impressionner la surface sensible. C’est ce que l’on appelle la sensibilité du film ou du capteur numérique. On exprime cette sensibilité en ISO ou en ASA. Ce sont deux termes différents qui recouvrent une même réalité. Un film de 100 ASA a la même sensibilité qu’un film ISO 100. Plus le chiffre est élevé, plus le film est sensible, c’est à dire moins il a besoin de lumière pour être impressionné. Là encore on est en présence d’une progression géométrique. A chaque fois que l’on double la sensibilité (de 100 à 200 ou de 200 à 400 par exemple), on a besoin de 2 fois moins de lumière et inversement.
La photographie numérique a introduit dans ce domaine également une petite révolution. Alors qu’en argentique, pour changer de sensibilité, il faut changer de film, en numérique, il suffit d’accéder au « Menu » approprié pour modifier la sensibilité du capteur.

Les progrès des capteurs numériques des appareils réflexes apparus ces 2 dernières années ont ouvert une nouvelle dimension dans cette maîtrise de la sensibilité du support de l’image. En argentique, les films dont la sensibilité excède les 800 iso restent d’un emploi exceptionnel, presque exclusivement en noir & blanc, en raison de leur manque de définition et de leur contraste très élevé. En numérique aujourd’hui un grand nombre de photographes sportifs travaillent communément à 3200 iso avec des appareils tels que les Nikon D3 ou D700 et le tout nouveau Nikon D3s permet de monter à 6400 iso avec la même qualité d’image.

La sensibilité s’exprime en Iso (ou en Asa) qu’il s’agisse d’un film argentique ou d’un support numérique.
A chaque fois que l’on double la sensibilité (de 100 à 200 iso ou de 800 à 1600 iso par exemple), on a besoin de 2 fois moins de lumière.

En numérique, la cible de la lumière, le capteur, est une matrice sur laquelle sont distribués de façon régulière des éléments photosensibles, les pixels. Ce capteur a été développé pour une sensibilité nominale, généralement 100 ou 200 iso. Pour monter en sensibilité, l’appareil photo va amplifier le signal mesuré par le capteur. Mais cette amplification va générer un signal parasite qui va être d’autant plus élevé que le signal original aura été amplifié.
C’est un phénomène que l’on constate également lorsque l’on procède à un enregistrement sonore par exemple. Si votre niveau d’enregistrement a été insuffisant, vous pouvez booster le son numériquement, mais vous allez faire apparaître très vite un “souffle” qui sera d’autant plus important que le signal d’origine aura été boosté et qui va gêner l’audition.
On va donc constater une dégradation de l’image finale d’une part, et c’est immédiatement visible, par l’apparition progressive de ce que l’on appelle du bruit qui va enlever de la définition dans les contours les plus fins de l’image et d’autre part, mais c’est plus subtile, parce que l’on va perdre des informations, en terme de finesses et de subtilités dans les couleurs (le gamut), et dans la dynamique: l’écart entre les hautes lumières et les basses lumières que l’appareil est capable d’enregistrer simultanément.
Détail d’une photo réalisée à 3200 iso avec un Nikon D200 fortement agrandie pour mettre en évidence le “bruit” numérique

Ce bruit peut-être réduit considérablement en post production avec Photoshop ou des logiciels dédiés, mais vous ne retrouverez jamais la définition, le piqué que vous auriez eu si la photo avait été prise en ayant réglé l’appareil sur une sensibilité plus basse.
Attention à ne pas sous-exposer lorsque vous travaillez en haute sensibilité: Vous pourrez rattraper l’erreur commise à la prise de vue par un traitement numérique de l’image, mais vous ferez exploser le bruit.

Attention, tous les appareils ne sont pas égaux lorsque l’on veut travailler en haute sensibilité.
Le bruit sera d’autant plus visible que la surface du capteur sera réduite et le format d’utilisation des images élevé. Cette règle ne s’applique qu’aux capteurs 24×36 et inférieur. A l’exception du capteur du Leica S2 que je n’ai pas eu l’occasion de tester, les capteurs moyen-format (ceux dont la surface est supérieur à 24x36mm) supportent très mal l’amplification du signal.
Les capteurs des petits appareils numériques et autres téléphones portables sont encore loin d’atteindre les performances des capteurs full-frame des appareils numériques les plus récents. Il s’agit là d’un problème à la fois technique et commercial. Plus la surface d’un capteur numérique est petite et moins il est cher à fabriquer. Plus la taille des pixels est petite et moins il supportera l’amplification du signal. Si on ajoute à cela que pour des raisons de marketing, les fabricants ont toujours privilégié le nombre de pixels sur les performances en basse lumière, les appareils numériques amateurs peuvent difficilement dépasser les 800 isos.

Cette notion de dégradation de la qualité est relative.
Vous n’aurez pas les mêmes exigences si vous photographiez des peintures dont vous voulez reproduire le moindre détail et la moindre nuance colorée ou si vous photographiez un fait divers; si vous êtes un photographe paysagiste dont les œuvres seront imprimées sur de grands formats ou si vous travaillez pour un site d’information en ligne qui va reproduire vos images en 800×600 pixels.
On peut même chercher à susciter volontairement ce bruit pour des raisons esthétiques ou commerciales et en faire un procédé artistique. Ainsi en argentique, un grand nombre de photographes qui travaillent en argentique n&b, vouent une passion de l’ordre du fétichisme, à un film de Kodak déjà ancien, la Tri X (1954 !). Ils apprécient son rendu et en particulier son grain, qu’ils trouvent plus esthétique que celui des films, au grain pourtant plus discret, qui lui ont succédé.
Grain argentique. Film n&b Ilford HP5 Plus

Grain numérique. Détail d’une photographie réalisée avec un Canon G3 à 400 Iso

En numérique, je n’ai croisé que peu d’amoureux du bruit numérique, car sa distribution régulière lui enlève le charme de la TriX, mais certains photographes de mariage qui travaillent en numérique vont simuler du grain sur leurs tirages pour réaliser des albums de photographie en noir & blanc qui rappelleront, aux jeunes mariés, les photographies de leurs parents et grands parents. Les paparazzi travaillent généralement avec de très hautes sensibilités pour des raisons techniques liées aux particularités de leur travail. Les lecteurs de la presse people sont habitués à l’apparence de ce type d’images et en particulier à leur grain très important qu’ils associent inconsciemment à des photos « volées ». Lorsque ces photographes ont l’occasion de travailler avec le consentement de leur sujet, ils vont parfois utiliser ces hautes sensibilités alors que rien ne le justifie alors techniquement, pour donner au lecteur le sentiment que ces photos ont été « volées » et en obtenir un meilleur prix.
Par ailleurs, si la perte de détails est généralement perçue comme un handicap lorsque l’on doit réaliser des photographies pour un catalogue d’outillage industriel, elle peut au contraire devenir un avantage si l’on souhaite photographier une actrice traumatisée par ses rides…
Le choix de la sensibilité est donc souvent un compromis entre les conditions de la prise de vue (mauvaises conditions d’éclairages et risque de bougé à la prise de vue et/ou sujet en mouvement que l’on veut figer), et la qualité technique de l’image.
Il est donc très important de connaître les performances de l’appareil que l’on utilise en matière de sensibilité, pour faire le bon choix en fonction de son sujet et des contraintes liées à la lumière.
Apprenez à connaître le comportement de votre appareil lorsque vous montez en sensibilité, pour réaliser les bons choix en fonction des contraintes et du sujet.

Résumé:
Chaque fois que l’on double la sensibilité du capteur, on a besoin de 2 fois moins de lumière et inversement chaque fois que l’on réduit de moitié la sensibilité du capteur ou du film que l’on utilise, on a besoin de 2 fois plus de lumière.
Plus vous vous rapprocherez de la sensibilité nominale de l’appareil et meilleur (techniquement) sera votre image.

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