La lumière, la couleur et l’expression photographique

C’est la lumière qui nous permet de voir la couleur. Nous avons vu précédemment que la reproduction de la couleur dépendait de la température de couleur de la lumière. Mais ce n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Lorsque le photographe utilise la lumière naturelle, à chaque instant de la journée en fonction de la hauteur du soleil et des conditions atmosphériques, le contraste et la saturation des couleurs changent.
Ce qui distingue les grands photographes paysagistes des photographes amateurs, ce n’est pas leur matériel, mais le moment qu’ils choisissent pour réaliser leurs images. Et on ne cadre pas de la même façon une même situation si la lumière est différente. Les couleurs et les contrastes créent des émotions, des associations ou au contraire des oppositions, qui seront mises en valeur par le cadrage.

La Philarmonie du Luxembourg - Photographie Thierry DehesdinNikon D300 – 1/4″ – F/3,5 – 400 Iso – 30 mm – Photographie Thierry Dehesdin

Le choix de la lumière, ou en l’occurrence l’instant de la représentation si le photographe n’utilise que la lumière solaire, font partie de l’expression photographique au même titre que le cadrage, la profondeur de champs ou la perspective.

La Seine - blogdehesdin.wavesha.pe Nikon D70 – 1/180″ – 200 Iso – F/6,7 – 36mm

Sur les forums consacrés à la photographie et fréquentés par des amateurs, le matériel est souvent mis en cause au motif que tel ou tel appareil aurait une “mauvaise” balance des blancs. C’est parfois le cas, lorsque le mode “automatique” de la balance des blancs est peu performant, mais c’est le plus souvent l’expression d’une frustration suscitée par une demande impossible à satisfaire.
La perception que nous avons de la photographie prend son origine dans les conditions de lumières, dans le comportement du film ou du capteur, dans le souvenir de la scène photographiée et enfin dans notre culture photographique.
Notre perception de la “justesse” de la reproduction des couleurs sur une photographie est d’autant plus subjective que c’est aussi une affaire de culture visuelle. Le souvenir qui nous reste de la scène lorsque l’on regarde la photographie dans de bonnes conditions d’examen, n’est plus qu’un souvenir. Un rendu réaliste est à la fois affaire de culture au sens large, et affaire de culture photographique. Notre culture argentique nous a amenés à considérer comme réalistes des couleurs et des lumières caractéristiques de la photographie argentique. Ainsi, nous serons choqué par un portrait en couleur dans lequel le visage serait bleu ou vert, parce que ce ne sont pas des couleurs auxquelles nous associons un visage, mais nous trouverons réaliste un portrait en noir & blanc. De même nous considérons aujourd’hui les photos réalisées à la tombée de la nuit en argentique comme réalistes, alors que pourtant leur rendu est très différent de l’expérience sensible.

Place de la Mairie - Issy les Moulineaux - Thierry Dehesdin

Prise de vue argentique - Photographie Thierry Dehesdin

Le numérique a facilité le travail du photographe dans les situations où la fidélité de la reproduction des couleurs est essentielle. Lorsque l’on veut reproduire un tableau, un tissus ou un packaging par exemple. Le photographe doit alors travailler en n’utilisant que des lumières identiques pour éviter les problèmes liés aux mélanges de sources lumineuses que j’ai évoqué précédemment. On utilise une mire de couleur dans les conditions de la prise de vue qui permet de créer grâce à un logiciel tel que Camera Profiles and DNG Profile Editor un profil que l’on pourra appliquer à toutes ses images dans Photoshop pour reproduire les couleurs dans les meilleurs conditions possibles en tenant compte des spécificités de son capteur et de la nature de la lumière que l’on utilise. C’est un gros progrès sur la photographie argentique où la maîtrise des dominantes était beaucoup plus empirique.

Une reproduction fidèle des couleurs peut parfois sembler aller à l’encontre de l’expérience sensible. Ainsi, il y a quelques années, j’ai réalisé de nombreuses photographies en argentique dans des salles informatiques qui étaient éclairées par des néons. En l’absence de correction à la prise de vue, les photographies étaient d’un vert qui ne correspondait pas à l’expérience sensible et qui était assez repoussant esthétiquement. Cependant, si j’utilisais un thermocolorimètre pour filtrer à la prise de vue les dominantes, j’obtenais un résultat juste en terme de reproduction des couleurs des machines et des murs de la salle, mais différent de l’expérience sensible. Mes clients ne reconnaissait pas leur local dans ces images. Par contre, en ne filtrant que partiellement les dominantes, j’avais un résultat satisfaisant à l’oeil parce que j’avais laissé ce qu’il fallait de dominantes pour que la photographie semble fidèle à la scène représentée. L’image ne reproduisait ni les “vraies” couleurs des objets examinés sous une lumière normalisée, ni les couleurs telles que l’expérience sensible nous les montrait, mais une ambiance colorée suffisamment proche du souvenir de l’expérience sensible pour que notre cerveau trouve la représentation photographique réaliste.

Parce que le cerveau n’est pas un outil scientifique, la notion de fidélité de la reproduction reste subjective.
En argentique, selon le fabriquant et l’émulsion, le rendu colorimétrique de chaque film est différent. Lorsque je travaillais en argentique et que la précision de la reproduction des couleurs était un facteur essentiel de la prise de vue, il m’arrivait fréquemment de doubler des prises de vue sur deux films de marque différente. La plus mémorable de mes expériences en ce domaine reste une image d’un jambon tranché. Après avoir coupé 17 jambons avant d’en trouver un qui satisfasse et le client et l’agence de publicité tant par sa texture que par sa couleur, le client et l’agence n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le meilleur 4×5″, l’agence préférant le rendu du film Kodak et le client le rendu du film Fuji.

Jambon Photographie Thierry Dehesdin

Prise de vue argentique - Photographie Thierry Dehesdin

Si tout le monde peut s’accorder sur l’idée que le jambon dit “Jambon de Paris” est rose, lorsque l’on doit s’accorder sur la valeur exacte que l’on doit donner à ce rose pour qu’il soit à la fois réaliste et appétissant, les choses se compliquent.

Et même en studio, on va le plus souvent préférer créer une atmosphère, associer une ambiance au produit, quitte à perdre de l’exactitude dans la reproduction des couleurs. Dans l’image ci-dessus, en éclairant le radiateur disposé en arrière-plan dans une couleur qui tranche avec le premier plan, je le mets en évidence bien qu’il soit en partie dissimulé par le premier plan. Bien entendu, si cette photo avait été une image technique, la dominante bleue du radiateur n’aurait pas été acceptable.

Photographie Thierry Dehesdin

Prise de vue argentique - Photographie Thierry Dehesdin

Dans un grand nombre d’images, la notion de fidélité de la reproduction des couleurs n’est pas pertinente. Fidélité par rapport à quoi ? Fidélité à une couleur sous une lumière normalisée qui n’était pas celle de la prise de vue? Fidélité par rapport à notre souvenir de la scène? Fidélité par rapport à l’idée que nous nous faisons de cette couleur? Fidélité par rapport à notre culture photographique?

C’est souvent en interprétant à la prise de vue et /ou à l’édition les couleurs délivrées par l’appareil que l’on est le plus fidèle à l’esprit de l’image.

Benerville DehesdinNikon D2X – 1/250″ – F/8 – 100 Iso – 250 mm – Photographie Thierry Dehesdin

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