UNE PROMENADE À ISSY PAR RAYMOND DEPARDON

EXPOSITION PAYSAGES D’ARCHITECTURE : UNE PROMENADE À ISSY PAR RAYMOND DEPARDON

Musée Français de la Carte à Jouer 5 décembre 2018 / 30 juin 2019

Raymond Depardon et André Santini lors du vernissage.

Cette exposition de Raymond Depardon est décevante. Elle ne nous dit pas grand chose de l’architecture contemporaine et rien ou presque sur le paysage urbain d’Issy les Moulineaux.

La ville et son Maire ont demandé à Depardon de photographier un certain nombre d’ouvrages architecturaux récents, réalisés par des architectes connus et reconnus. Je photographie cette ville où je vis et où je travaille depuis près de 30 ans. J’ai donc accompagné sa transformation, là où Raymond Depardon est un peu l’équivalent d’un touriste de passage. Je ne pense cependant pas que ce soit à l’origine de ma déception.Je trouve tout aussi intéressant, pour un photographe, d’être dans la position du Huron qui agit comme un révélateur parce qu’il découvre un lieu qu’il ne connaît pas ou peu, que dans celle du laboureur qui est passé et repassé sur un terrain dont il connaît le moindre relief.
Redécouvrir Issy au travers d’un œil frais, surtout si c’est celui d’un auteur comme Raymond Depardon, aurait du me fasciner.

Pour répondre à cette commande et photographier ces « bâtiments combinant modernité et élégance » (Point d’Appui, le journal de la ville d’Issy Les Moulineaux, janvier 2019), il a repris le dispositif qu’il avait utilisé pour l’exposition « La France de Raymond Depardon ». J’avais adoré cette exposition. Le sujet est reproduit frontalement, et l’intervention du photographe est comme occultée. Ce qui peut sembler paradoxal alors qu’il utilise une chambre 20×25, ce que l’on fait de plus imposant ou presque comme appareil de prises de vue. Dans la pratique, cet appareil qui est extrêmement contraignant laisse peu de place à la flamboyance. Travailler à la chambre suppose du temps et de la transpiration. L’engin est lourd et lent à mettre en œuvre. Le point de vue doit être trouvé avant même d’avoir sorti l’outil de sa caisse. Il est difficile d’embrasser d’un coup d’œil, sous le voile, l’image qui se forme à l’envers sur le dépoli. La mise au point est faite avec une loupe. Je n’ai jamais vu Depardon travailler mais, d’expérience, réaliser deux prises de vue d’architecture en une demie-journée avec une chambre, c’est déjà très bien.

Dans ses choix techniques dans l’instant de la prise de vue, Depardon évite tous les procédés photographiques qui seraient susceptibles de créer artificiellement de l’attention. Les vues sont frontales, sans effet de perspective, avec des verticales parallèles au plan du film. C’est net partout. La technique photographique semble s’effacer derrière le sujet. Il n’y a pas de passant comme s’il fallait éviter tout ce qui pourrait être du registre de l’anecdote. Pour l’exposition, les photographies sont tirées sur de très grands formats.

Le photographe est comme un enfant mal élevé qui chercherait à attirer notre attention en nous montrant du doigt, un lieu, une situation. Mais il ne suffit pas, sauf hasard bien heureux, qu’il ait orienté son appareil dans la bonne direction pour susciter notre intérêt. (André Gunthert a créé un néologisme, la prosécogénie, pour désigner cette qualité, susciter l’attention, qui est propre à certaines images.)

Il n’y a pas de dispositif qui serait en lui-même supérieur à un autre. Je ne doute pas qu’un jour Raymond Depardon (ou plus probablement un autre photographe) réalisera une exposition toute aussi prosécogénique sur la France périphérique en utilisant un smartphone. Son dispositif fonctionnait à merveille pour l’exposition « La France de Raymond Depardon » parce qu’il répondait à son propos. Il distinguait des lieux qui n’auraient pas retenu notre attention dans l’expérience sensible. La chambre 20×25 et les grands tirages, c’était parce qu’ils le valaient bien:-) et un moyen de nous permettre d’en découvrir les moindres détails. En refusant tout effet à la prise de vue, il nous signifiait symboliquement que ces lieux n’avaient pas besoin d’artifices photographiques pour susciter l’attention. L’exposition n’était pas une association, une collection de photos disparates. Alors que ces lieux avaient été photographiés dans différents villages, on avait une unité. Les images se répondaient. C’était la France de Raymond Depardon.

Ici, malheureusement, la commande ce n’est pas L’Issy les Moulineaux de Raymond Depardon, mais un certain nombre de bâtiments remarquables que l’on a demandé à Depardon de photographier à Issy les Moulineaux. Il a fait du Depardon, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il a obtenu cette commande. Mais son dispositif ne fonctionne plus. Les photographies manquent d’intérêt. On a l’impression d’être devant les plans qui avaient été dessinés par les architectes pour obtenir le permis de construire. Paradoxalement, alors que (ou parce que) ces bâtiments « combinent modernité et élégance », quelques effets photographiques n’auraient pas été de trop pour retenir notre attention : Gros plans, jeu sur les contrastes, opposition du net au flou, utilisation du noir & blanc etc. Même l’utilisation de tirages grands formats ne suffit pas à donner une prosécogénie à ses photos.

Enfin leur juxtaposition dans une même espace d’exposition ne suffit pas à créer une promenade. Le tissu urbain est dense à Issy. Ces bâtiments sont remarquables, mais ils ne sont pas la ville. Parce que l’on ne voit pas le bâti dans il s’insèrent, ils sont comme hors sol. Les photos les plus intéressantes d’ailleurs sont celles où Depardon s’autorise un, petit, pas de coté. Celles où l’on voit un peu moins le bâtiment et un peu plus la ville.

On est ici dans la limite de la commande. On va chercher un photographe pour son nom et pour son style, mais le dispositif qui donnait une grande prosécogénie à ses photographies dans l’exposition « La France de Raymond Depardon » ne fonctionne pas parce que la commande ne lui a pas laissé le choix du point de vue. Cependant une commande qui aurait laissé une plus grande liberté à Raymond Depardon n’aurait peut-être pas répondu aux attentes de la ville et de son Maire.

Maintenant est-ce qu’une exposition ratée de Depardon n’en reste pas moins plus intéressante que bien des expositions si l’on est curieux de photographie ? Et puis le Musée Français de la Carte à Jouer est un très beau lieu.

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A propos de Thierry

Je suis photographe indépendant depuis 1981. Photographe publicitaire et industriel je travaille pour des agences de publicité et des entreprises.

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