On ne cesse d’annoncer la mort prochaine du photo-journalisme depuis de nombreuses années. Neil Burgess qui a dirigé Magnum New-York et Magnum Londres et qui possède aujourd’hui sa propre agence NB pictures constate, en regardant les photographies reproduites dans la presse en ligne et dans la presse traditionnelle, que cette fois-ci on peut rédiger officiellement l’acte de décès du photo-journalisme.
Les photo-journalistes sont des journalistes qui utilisent la photographie, et non l’écriture, pour nous parler du monde. Ils vont utiliser l’image avec un angle, un point de vue, pour raconter, décrire et nous aider à appréhender des situations complexes. Cette approche suppose un regard, des espaces pour publier leurs reportages, et un financement. Ils doivent rester suffisamment longtemps sur le terrain pour appréhender et éclairer les évènements et les situations dont ils veulent rendre compte. Il ne suffit pas qu’une photographie soit utilisée pour illustrer un article de presse pour que ce soit du photo-journalisme. Pour reprendre la comparaison avec le journalisme, la plupart du temps la photographie qui vient illustrer un article est comparable à une dépêche d’agence qui ferait état d’un événement, par opposition à l’article de fond, comparable au photo-journalisme, qui nous permettrait de comprendre cet événement dans toute sa complexité.
Je ne saurais trop vous conseiller de lire son article dans sa version originale, mais je vais reprendre quelques éléments de sa démonstration pour ceux qui ne maîtrisent pas l’anglais.
Neil Burgess constate que les groupes de presse ne financent plus le photo-journalisme. Lorsque parfois on découvre dans un journal ou sur le web des images qui s’inscrivent dans une démarche de photo-journaliste, on constate très rapidement que leur production a été assurée par des ONG, grâce à une bourse, que ce sont des images extraites d’un livre ou qu’elles ont été auto-produites par le photographe. Les quotidiens et la presse magazine ne financent plus de reportages. Ils vont trouver un financement pour réaliser un ou deux portraits de personnalité, mais il n’y a plus de financement pour des projets qui s’inscrivent dans la durée. La photographie n’est plus utilisée que pour illustrer des articles écrits.
Aucun des reportages des 7 photographes britanniques récompensés cette année par le World Press Photo http://www.worldpressphoto.org/ n’était financé par une structure en relation avec le journalisme.
Et la situation n’est pas spécifique à la Grande Bretagne. Il suffit d’acheter Newsweek ou le Times pour constater que la presse est désormais alimentée par des « photographes citoyens » ou des correspondants locaux dont la photographie n’est pas nécessairement l’activité principale et dont le travail n’a d’autre finalité que l’illustration de la chose écrite.
Aujourd’hui, on lui propose moins pour une histoire susceptible de faire la couverture et 8 pages dans un magazine que pour une seule image d’une célébrité. Il y a toujours de l’argent dans la presse, mais on ne le dépense plus pour la photographie. C’est une décision des gestionnaires qui considèrent que puisque l’on peut illustrer les articles avec des photos gratuites ou presque, il n’est plus nécessaire de prévoir un budget pour du photo-journalisme.
Pour Neil Burgess, cette situation est très inquiétante car la plupart des photographies supposées couvrir un événement que nous découvrons désormais dans la presse ont été mises en scène par et pour un spin doctor, un responsable des relations publiques, du marketing ou de la publicité. Il suffit d’analyser les images qui nous sont proposées aujourd’hui pour réaliser qu’elles ont été produites, sélectionnées et fournies aux médias par un attaché de presse. On a encore besoin de photographes professionnels spécialisés dans le sport, le portrait ou la mode mais que sont devenus les photographes qui étaient capables de raconter des histoires, d’apporter un témoignage au-delà de l’évènement brut?
Le photo-journaliste est le premier à disparaître, mais lorsque la mort de la presse imprimée sera achevée, ce sera au tour des journalistes. Quelques rédacteurs suffiront pour paraphraser les communiqués de presse et utiliser les photos qu’on leur aura fourni. D’ailleurs n’est-ce pas déjà le cas?
Enfin il s’adresse aux jeunes générations: Nous devons dire à nos enfants que la profession de photo-journaliste est morte parce qu’ils sont des milliers de malheureux à s’endetter dans l’espoir de décrocher un boulot que plus personne n’est prêt à payer.
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