La diffusion des images d’un Dominique Strauss-Kahn hagard, menotté, entravé, encadré par des policiers américains a suscité une vive émotion, compréhensible, auprès du personnel politique et des citoyens français. Et comme souvent dans ce cas en France, on a dénoncé le messager, rappelant fort opportunément la loi Guigou qui n’aurait pas permis que soit montré chez nous ces images “d’une brutalité, d’une violence et d’une cruauté inouïes”.
J’ai déjà dit en 1999 sur photographie.com tout le mal que je pensais de cette loi alors que ce n’était encore qu’un projet de loi relatif à la présomption d’innocence et aux droits des victimes voté par l’Assemblée Nationale et le Sénat, en première lecture, en mars et juin 1999.
L’article de cette loi concernant “L’interdiction de diffuser l’image d’une personne identifiée ou identifiable mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale et n’ayant pas encore fait l’objet d’un jugement de condamnation, faisant apparaître que cette personne porte des menottes ou des entraves” est sans doute le plus emblématique de cette hypocrisie à la française qui voudrait que l’on montre le monde non pas tel qu’il est, mais tel que l’on voudrait qu’il soit. Le plus inquiétant dans ces réactions, c’est que depuis, même un homme d’images tel que Jean-François Leroy, directeur du festival Visa pour l’Image, a fait sienne cette hypocrisie en déclarant à l’AFP “Si j’étais rédacteur en chef, j’interdirais à mon service photo de l’utiliser”.
Qu’est-ce qui atteint aujourd’hui à la présomption d’innocence de DSK? L’image d’un homme hagard et entravé, ou un acte d’accusation qui relate des faits d’une grande violence sans que l’on ait pu encore entendre sa défense en raison des spécificités de la justice américaine?
Ces images sont-elles de nature à lui porter préjudice? Elles suscitent une joie malsaine chez un grand nombre d’internautes américains, dans la grande tradition de la loi de Lynch, si j’en juge à leurs interventions sur les forums anglo-saxons mais, banquier et français, il était déjà coupable dans leur esprit avant ces images. En France, ce serait plutôt l’effet l’inverse. Ces images sont la matérialisation et le symbole de son passage brutal du Capitole à la roche Tarpéienne. Et la violence de ce qu’il vit, aurait même sans doute tendance à effacer la violence de ce qu’aurait subi sa victime absente des médias.
Ces images sont-elles nécessaire à l’information? Oui, mille fois oui. Il n’y a qu’à observer l’émotion qu’elles suscitent. Les cacher aux français, ce serait mentir sur la réalité de ce qu’il vit et sur ce qu’est le système judiciaire américain.
Sont-elles attentatoires à sa dignité? Ce n’est à n’en pas douter des images qui n’auraient pas été diffusées par le service de communication du FMI. Mais au-delà de cette évidence, en quoi est-ce que des images d’un DSK épuisé, affaibli, hagard sont contraire à sa dignité? Ce sont les images d’un homme qui traverse une épreuve d’une grande violence, mais qui n’est ni ridiculisé ni caricaturé.
Et au-delà du cas DSK, en quoi est-ce que montrer des victimes en situation de victime, atteindrait-il leur dignité? Que l’on soit victime d’un accident, d’une agression, d’un tremblement de terre, d’un tsunami, d’une guerre, d’un régime autoritaire, ou d’un régime judiciaire dont les pratiques heurtent notre sensibilité, on subit une grande violence. Demander à l’image de dissimuler cette violence, c’est nier la victime. Et c’est d’ailleurs bien pour cela que les régimes autoritaires et les régimes démocratiques, lorsqu’ils ont honte de certaines de leur pratiques ou des conséquences de leurs politiques, cherchent à interdire les images.
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