Marc Garanger ou la photographie à l’épreuve du temps

Marc Garanger vient de recevoir le prix du New-York Photo Festival pour l’ensemble de son oeuvre.

Marc Garanger au New-York Photo Festival

Marc Garanger pendant le New-York Photo Festival

Marc photographie comme il respire. C’est une activité qui lui est à la fois naturelle et nécessaire. Ses images sont son oxygène. Lui décerner un prix pour l’ensemble de son œuvre, c’est lui décerner un prix pour l’ensemble de sa vie.

Mais parmi les milliers d’images exceptionnelles qu’il a réalisées, celles qui ne cessent de fasciner tous ceux qui ont eu la chance de les découvrir, remontent à ses toutes premières années de photographie. Ce sont les portraits de femmes qu’il a réalisés pendant la guerre d’Algérie.
Forcé de participer à une guerre qu’il condamne, il décide d’en être un témoin. Il réussit à convaincre son commandant de l’utiliser comme photographe du régiment, ce qui lui permet de réaliser ses images sans éveiller la suspicion. Un jour, le commandement décide de réaliser des papiers d’identité pour contrôler les déplacements de la population civile. On demande à Marc de réaliser des photographies de 2000 personnes, principalement des femmes. Photographiées sous la contrainte d’une armée d’occupation, ces femmes qui doivent dévoiler leurs cheveux fusillent du regard le soldat Garanger. Marc qui connaissait le travail de Curtis sur les indiens d’Amérique, adopte un dispositif, identique pour toutes ses images destiné à donner à ces femmes la dignité que leur refusait l’armée française. Il réalise des portraits en 6×6, cadrés à la taille, en choisissant dans chaque village un mur blanc pour lui servir de fond. Et ce sont des recadrages sur les visages qui permettront de réaliser les tirages nécessaires à l’établissement des cartes d’identité.

Ces photos sont fascinantes parce qu’elles sont belles, mais aussi en raison de toutes les interrogations qu’elles soulèvent sur et autour de la photographie.

Il est devenu aujourd’hui très difficile pour les photos journalistes qui veulent travailler sur les conflits qui secouent notre planète, de refuser le statut d’embedded. Ce qui soulève la difficile question de l’indépendance des journalistes. Marc n’était même pas un journaliste “embarqué”, mais un soldat en uniforme. Aujourd’hui ces images sont devenues un témoignage, une trace de ce qu’était l’Algérie à cette époque. Un témoignage, même réalisé dans les pires conditions, n’est-il pas toujours préférable à l’absence d’image?

La photographie, parce qu’elle prend son sens au travers du regard de celui qui la contemple est polysémique par essence. Marc Garanger ne dissimulait pas ses images à ses supérieurs. Pourtant, à aucun moment, ils n’ont vu ce qu’elles contenaient. La première fois qu’ils ont découvert ces portraits, l’un d’entre eux s’est écrié: “venez voir comme elles sont laides, venez voir ces macaques, on dirait des singes!”. Des images réalisées pour de mauvaises raisons, je pense à tous les films de propagande, ne finissent elles pas toujours par trouver une justification au regard de l’histoire? Ne serait ce qu’au travers des informations qu’elles nous donnent sur ceux qui les ont produites?

Ces photographies ont été réalisées sous la contrainte. Le photographe savait ce qu’il faisait mais pas ses modèles pour qui ces séances de pose étaient d’une extrême violence. Marc parle de viol. On est confronté à une situation extrême d’un point de vue éthique. C’est parce que ces photos étaient une violence faite à ces femmes qu’elles sont un document historique unique et leur beauté formelle vient en partie de la fureur des femmes photographiées.

Pour les personnes photographiées aussi, il y a l’instant de la prise de vue, et il y a la vie des photographies après, lorsqu’elles vont s’inscrire dans le temps et dans l’Histoire. Réalisées sous la contrainte par le colonisateur, ces images symbolisent aujourd’hui la lutte du peuple algérien. J’ai été à une exposition organisée dans un café social à Belleville, c’était la fête. Les visiteurs étaient fiers de pouvoir s’identifier à ces images qui étaient aussi un moyen de se réapproprier leur passé. Marc est retourné en 2004 Algérie pour essayer de retrouver ses modèles. Il a été accueilli partout chaleureusement. La pose devant l’objectif, qui plus est dévoilée, symbolisait leur statut de victimes impuissantes. Aujourd’hui, ces mêmes images en font des héroïnes.

Les portraits sur “Chambre avec vues”
Portfolio France-Algérie : “mémoires en marche” de Marc Garanger sur le site du Monde.fr
Le site de Marc garanger

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A propos de Thierry

Je suis photographe indépendant depuis 1981. Photographe publicitaire et industriel je travaille pour des agences de publicité et des entreprises.

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