J’ai joué quelques instants avec le Nikon DF.
L’appareil dont le teasing a été à l’origine de mon précédent billet “Canon, Nikon, Sony, BlackBerry même combat?” a été présenté à la presse comme un appareil « dédié à la photographie à l’état pur » (pas si facile que cela de traduire « pure photography » en français 🙂 ) destiné aux photographes « esthètes ».
On avait les amateurs, les experts, les professionnels, on aura désormais également les esthètes.
Le lendemain, Nikon annonçait une chute des bénéfices de 44% sur les 6 derniers mois, supérieure à leurs prévisions, avec en particulier une baisse de la demande sur les réflex pour la première fois depuis 1999, année du lancement de leur premier réflex numérique (le Nikon D1).
« The company posted a 41 percent drop in operating profit to 21.9 billion yen ($222 million) for the six months ended September, saying overseas demand for pricy single-lens reflex models had remained depressed.
It cut its unit sales projection for interchangeable lens cameras to 6.20 million from a previous forecast of 6.55 million, which had predicted the first fall in sales of the format since Nikon’s first digital SLR in 1999. »
Les termes amateur/expert/professionnel sont des appellations qui sont supposées caractérisées trois profils de consommateurs et renvoient à trois approches technologiques différentes de l’outil photographique.
Cette typologie est nécessaire pour aider le consommateur à s’y retrouver dans une offre surabondante.
Le prix est un des éléments du choix du consommateur, mais à la marge. Le prix d’un appareil dédié à la photographie c’est quelque part entre 50 euros (avec un objectif) et 6000 euros (sans objectif). Et encore, je laisse de coté les dos moyen-formats destinés à une niche très particulière.
Contrairement à ce que l’on observe avec la plupart des biens de consommation, la montée en gamme n’est pas une garantie de résultats. Si j’achète le lave linge ou le lave vaisselle le plus cher du marché, je serai peut-être déçu, mais je peux légitimement m’attendre à avoir un linge ou une vaisselle plus propre et une machine plus simple à utiliser.
Ce n’est pas le cas avec un appareil photo. Mes photos ne seront pas nécessairement « meilleures » avec un appareil à 6000 euros qu’avec un appareil à 50 euros et plus l’appareil sera cher, plus il sera difficile à utiliser.
Les fabricants doivent donner une identité à leur matériel pour justifier les différences tarifaires et permettre au consommateur de légitimer son achat quelque soit son montant.
Le matériel est amateur, expert ou professionnel parce que les besoins des utilisateurs sont supposés différents. Le même mot désigne l’utilisateur, l’outil supposé répondre à ses besoins et permet de justifier les écarts de prix.
A l’origine, le numérique est une rupture technologique, et la qualité des images produites grâce à cette rupture a progressé rapidement. Les consommateurs ont renouvelé leur matériel parce qu’ils avaient le sentiment que des progrès significatifs leurs étaient proposés par les nouveaux modèles.
Aujourd’hui l’argument technologique s’essouffle.
La crise économique n’est pas la seule explication à la morosité du marché. Tous les appareils ou presque produisent des photos qui techniquement répondent à la plupart des besoins des consommateurs. Le smartphone n’est pas encore perçu comme un outil permettant de réaliser de « vraies » photos comme le montre l’enquête de l’Ifop que j’ai cité dans mon billet précédent, mais ça n’en reste pas moins un outil sacrément fonctionnel pour un usage amateur. 75% des foyers sont déjà équipés d’un compact numérique. Je n’ai pas les chiffres de l’équipement des foyers en réflex numérique, mais je pense qu’il est très supérieur à ce qu’il était dans les dernières années de l’argentique si j’en juge par mon entourage.
Les innovations technologiques proposées par les nouveaux appareils, même dans le haut de gamme, qu’il s’agisse d’un progrès en matière de poids ou d’encombrement, de la progression du nombre de pixels ou d’une amélioration des performances en basse lumière, peinent à convaincre les consommateurs de la nécessité de renouveler leur matériel.
La distinction amateur/expert/professionnel s’inscrit dans la genèse de l’image numérique et suppose que le consommateur estime que dans la catégorie qu’il a fait sienne, un progrès technologique suffisamment significatif a été fait pour justifier un nouvel achat. Certains photographes vont renouveler leur achat pour progresser dans cette hiérarchie implicite, mais pour l’essentiel ils se sont appropriés l’identité photographique qui leur convenait.
L’apparition d’une nouvelle catégorie, les “esthètes”, est significative des difficultés que rencontre aujourd’hui l’industrie photographique et de la nécessité de trouver un nouveau moteur pour relancer les achats.
Le thème du « vintage » est porteur (l’automobile par exemple), et tout particulièrement dans la photographie où l’argentique est resté la référence symbolique. Que ce soit pour le matériel ou pour les images comme le montre le succès d’Instagram sur les réseaux sociaux.
Sur ce terrain, Nikon arrive très tard vis à vis de Fuji qui s’est fortement inspiré de Leica pour le design de ses boîtiers depuis deux ans, et d’Olympus qui a retrouvé les formes anguleuses des boîtiers argentiques.
Mais je ne pense pas que ces constructeurs aient ouvert un nouveau marché. On ne va pas plus acheter une nouvelle voiture parce qu’elle est « vintage » que l’on ne va acheter un nouvel appareil pour cette seule raison. Avec Olympus et Fuji on est dans une logique de conquête de part de marché. Les outsiders essaient de tailler des croupières aux cadors en séduisant les consommateurs avec un design différent.
Nikon doit persuader le consommateur que leur nouvel appareil est unique et indispensable en n’utilisant qu’à la marge l’argument technologique qui n’est plus suffisant. Sans cela pas de nouveau marché susceptible de séduire aussi bien les amateurs que les experts ou les pros chez qui ont créerait un nouveau besoin photographique, mais la montée dans un train déjà bien encombré. En plus cela signifierait qu’il faudrait redessiner tout ou partie de la gamme, juste pour ne pas perdre de parts de marché.
C’est l’explication de ce nouveau concept, la “pure photography” auquel est associé un nouveau profil de photographe, les “esthètes”.
Si j’en juge par les réactions sur les forums, ce concept est porteur.
Maintenant, la question pour Nikon c’est de savoir si le DF va être reçu comme un objet vintage ou comme l’objet/outil emblématique de la “pure photography”.
Porter un jugement sur cet appareil, après une manipulation de quelques minutes, est très difficile dans la mesure où le commentaire technique est un peu hors sujet. Plus encore que d’habitude, ses performances sont plus de l’ordre de la justification d’une acquisition qui relève de l’image que l’on se fait et que l’on veut renvoyer aux autres de sa pratique photographique, que d’une réflexion en termes de besoin, de performances et de coût.
Disons que de face et en vue aérienne, c’est un appareil rétro avec plein de boutons partout et de dos un appareil qui reprend l’ergonomie des boîtiers numériques réflex Nikon. J’ai trouvé la prise en main agréable. Il m’a semblé plutôt léger (765 g avec accumulateur et carte mémoire) et bien que ce soit le plus petit des réflex FX Nikon, on l’a bien en main.
A l’intérieur, c’est le capteur du Nikon D4, le vaisseau amiral de la flotte Nikon.
Mais contrairement au D4, le DF n’offre pas la vidéo. C’est un choix purement marketing que rien ne justifie techniquement ou économiquement. C’est un pari sans doute moins risqué qu’on pourrait le supposer dans la mesure où de nombreux photographes se plaignent régulièrement sur les forums de ce que leur appareil propose un mode vidéo dont ils n’ont que faire et c’est en adéquation avec le concept de la “pure photography”.
Ses rafales ne sont « que » de 5,5 images/secondes (contre 11 sur un D4). Je suppose que ce dernier point se justifie plutôt par la volonté de ne pas cannibaliser les ventes du D4, nettement plus cher, même si l’ergonomie de ces deux boîtiers n’est pas comparable. Mais si on se réfère aux teasing, une rafale limitée correspond bien à l’idée d’une pure photography, puisque chaque image se doit d’être pensée, réfléchie, rare.
Pour en finir avec le capteur, je suppose que lorsque l’appareil a été conçu, ses ingénieurs se sont demandés s’il fallait adopter le capteur du D800 ou celui du D4. Le capteur du D4 a 16 millions de pixels contre 36 pour le D800. Cette relative modestie lui permet d’avoir des rafales plus soutenues que le D800 (avantage perdu avec le Nikon DF) et d’avoir une qualité d’image supérieure à très hauts Iso.
Mais surtout, le capteur du D4 est un capteur griffé Nikon, là où celui du D800 est un Sony.
Enfin, on peut utiliser toutes les optiques Nikon, même les plus anciennes, ce qui n’est pas le cas des autres appareils numériques Nikon. (A l’exception de quelques optiques très anciennes et très rares, genre Fish-eye, qui supposaient que l’on relève le miroir pour les utiliser.)
Pour en finir avec cette présentation technique sommaire, son système autofocus est moins performant que celui du D4. Là je suppose qu’il s’agit à la fois de ne pas cannibaliser les ventes du D4 et de faire des économies.
Je n’ai manipulé l’appareil que quelques minutes ce qui est très insuffisant pour donner un jugement définitif sur son ergonomie. Sur la base de cette expérience limitée, les molettes finalement, même si c’est beaucoup plus intuitif et à ce titre intéressant pour un débutant (fortuné…), c’est quand même moins pratique. Ou alors, c’est une habitude que j’ai perdue. C’est d’autant moins pratique, que Nikon a mis des verrous partout pour éviter qu’on les bouge involontairement, mais du coup j’avais l’impression qu’une troisième main n’aurait pas été inutile. 🙂 Bon, j’en rajoute un peu, mais je pense qu’à l’usage, l’appareil sera agréable à utiliser en mélangeant les commandes issues de l’argentique et celles qui appartiennent au numérique en fonction de ses habitudes de prises de vue.
Esthétiquement, Nikon l’a décliné en deux versions. Une version chromée qui est supposée nous renvoyer aux premiers réflex de la marque et une version noire nettement plus discrète. C’est là encore un retour à la tradition.
Le prix: Annoncé à 2900 euros prix public, il se positionne au prix du D800 lors de son lancement et nettement en dessous du D4 qui est à plus de 5000 euros. Mais c’est difficile de porter un jugement sur son prix en le comparant aux autres appareils de la marque, dans la mesure où il n’a pas été conçu pour venir s’insérer dans la gamme existante mais trouver sa place à coté.
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