Dans le cadre de l’exposition Les nouvelles couleurs de l’industrie, Paul Smith, chercheur au Ministère de la culture et de la communication, a présenté jeudi 14 juin au Musée Français de la Carte à Jouer une conférence sur “La Photographie et l’Industrie / entre Documentaire et Esthétique”.
Son exposé m’a amené à m’interroger sur la conservation des images par les entreprises.
La plupart des entreprises ont un objectif à très court terme lorsqu’elles commandent des images à un photographe. Il s’agit de réaliser des photographies pour illustrer une plaquette ou un rapport annuel, décorer un hall d’acceuil, illustrer un journal d’entreprise, justifier en interne d’un budget consacré à des modification de la signalitique d’un espace de vente ou d’un batiment, suivre l’état d’avancement de travaux architecturaux. Le plus souvent ce sont, dans l’esprit de l’entreprise, des photos “kleenex”, à jeter après utilisation.
L’identité visuelle que l’entreprise veut donner change en permanence. La machine, l’atelier qui symbolisaient 5 ans plus tôt la modernité sont devenus des outils dépassés. Suite à des restructurations, fusions, absorptions, la société a changé de dénomination et toutes les photographies qui montrent des enseignes sont devenues inutilisables. Utiliser une de ces photos dans une plaquette serait une faute en termes de communication.
A cela s’ajoutent des facteurs humains et économiques. Un nouveau directeur de la communication veut du passé (et du travail de son prédécesseur) faire table rase. Un imprimeur ou un labo n’ont pas retourné un original. Suite au déménagement de la photothèque, il faut faire de la place.
De grandes entreprises, dotées en interne d’une photothèque, m’ont demandé s’il ne me restait pas des doublons de mes images parce qu’elles voulaient réalisé une brochure retraçant leur histoire et qu’il était devenu impossible de retrouver des photographies que je leur avais livré 10 ou 15 ans plus tôt.
Le passage à la couleur a d’ailleurs accéleré ce processus de perte de la mémoire de l’entreprise. Alors que les photographes livraient des tirages et conservaient souvent leurs négatifs en noir & blanc, avec la diapositive il n’y a plus eu qu’un original, celui qui a été livré au client. Mais pour être tout à fait honnête, lors du décès d’un photographe industriel, ses archives disparaissaient le plus souvent au fond d’un grenier quand elles n’allaient pas directement à la poubelle, la photographie industrielle n’étant valorisée socialement et économiquement que depuis peu. Et le photographe dans les mois qui vont suivre la prise de vue aura tendance à privilégier les images les plus intemporelles, celles qui ne seront pas “datées” et donc susceptibles d’avoir la vie commerciale la plus longue dans les années qui vont suivre la prise de vue. Alors qu’après plusieurs décennies, ce sont au contraire celles qui s’inscrivent le plus dans leur époque qui seront les plus intéressantes dans une perspective patrimoniale.
Pour la plupart des individus, ce n’est que lorsqu’un site est condamné qu’il devient, parfois, digne d’intérêt. Les transformations dans l’industrie se succèdent à un rythme très rapide et sont progressives. Il est très difficile d’identifier les photos sans intérêt d’aujourd’hui qui seront indispensables dans quelques décennies. La démarche d’organismes tels la Datar ou l’Observatoire photographique du paysage est exceptionnelle et n’est pas toujours comprise du grand public.
La mode actuelle des photographies de friches industrielles, me laisse comme un immense sentiment de gachis. Ce ne sont plus que les fantômes des images qui n’ont pas été réalisées ou qui ont disparu.
On peut espérer que grâce au numérique, beaucoup plus facile à stocker et à copier que l’argentique, les industries d’aujourd’hui nourissent, comme malgré elles, la mémoire de demain. Déjà, les champs EXIF faciliteront le travail des chercheurs en permettant de dater avec précision les images. Mais on m’a déjà téléphoné à 3 reprises, parce que la photothèque ne retrouvait que des fichiers en basse définition des photos numériques qui avaient été livrées quelques mois plus tôt…
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