J’ai bien aimé les photographies de Depardon exposées à la B.N.F.
Ceux qui connaissent mon travail sur Issy les Moulineaux n’en seront pas surpris.
http://www.issy.dehesdin.com/
http://www.dehesdin.com/livre/1.html
http://www.dehesdin.com/Tiru/index.html (montage sonorisé)
Je me demande si en scannant ses plans films, le labo n’a pas eu la main un peu lourde sur le renforcement de la netteté. Cependant, le résultat est intéressant. Il y a du numérique dans le rendu de ces tirages qui mettent en évidence l’association des 2 univers: l’argentique et le numérique.
Le dispositif de l’exposition est réussi. Des tirages géants, sans légende, tapissent la salle et créent un lien très fort entre des images qui n’ont pourtant rien d’autres en commun que d’être des images de la France vue par Raymond Depardon.
Mais ce dont je voulais parler dans ce fil, ce sont des réactions qui ont été suscitées par cette exposition et qui renvoient, me semble-t-il, à l’essence même de la photographie.
Un grand nombre de commentaires élogieux fonctionnent sur un mode binaire.
D’un coté on souligne “les images aux sujets délibérément banals”, et de l’autre on procède à une description du “travail”, que ces images ont nécessité, comme s’il fallait sanctifier cette banalité apparente des sujets et de leur traitement photographique par les efforts de leur auteur:
“Il faut un art très puissant bien que très discret pour parvenir à ce résultat, il faut aussi du travail, beaucoup de travail.” Comme si l’apport de Depardon était tellement discret et cette “banalité” tellement dérangeante que c’était dans l’effort du créateur qu’il fallait chercher le signe de la création artistique. Les commentaires insistent sur “le long processus de choix, des lieux, des cadres, des tirages, le sens et l’enjeu des décisions techniques”,
“Comme en témoignent ses cahiers de repérages et ses cartes annotées, étape après étape, son tour de France en cinq ans et 70.000 km est une odyssée moderne. De sa folle récolte de 6000 négatifs”
On évoque aussi abondamment l’utilisation d’un appareil spectaculaire et compliqué:
“Raymond Depardon a travaillé avec une chambre photographique (ce sont ces appareils anciens sur pieds avec une couverture sombre sous laquelle se mettent les photographes pour prendre leurs images). Si le travail à la chambre ne permet pas la souplesse, la rapidité de déplacement et de réaction qu’offre le Leica, appareil préféré des reporters, il apporte une précision de prise de vue et un rendu conforme à 100 % à l’œil du photographe. Le viseur se trouve en effet très exactement installé à la place du photographe, épouse son « point de vue » ” ,
“Il faut imaginer Depardon, la dégaine lourde, décharger sa montrueuse chambre photographique du fourgon spécialement aménagé, la poser à bonne distance du sujet qu’il a au préalable traité au Polaroïd pour en vérifier la photogénie, mesurer le temps de pose à la cellule, s’enfouir la tête sous un voile rouge, presser la poire, doubler l’image en rechargeant le châssis d’un film vierge, recommencer l’opération, on n’est pas au bord d’un circuit, genre Bernard Asset, on fait dans le statique, genre Claude Monet. “
et on souligne les sacrifices que le photographe a du consentir pour réaliser ses images:
“durant cinq ans, dormant souvent dans son véhicule, sur des parkings de supermarché ou des places de village.”,
Imagine-t-on un critique rédigeant un papier sur les paysages d’un peintre en soulignant d’une part la banalité des lieux et d’autre part les efforts supposés par la réalisation de grandes toiles en pleine nature ?
Les commentaires dépréciateurs sont beaucoup plus élémentaires, sur le mode: Ces photographies sont banales parce que ce sont des photographies de lieux sans intérêt ou c’est sans intérêt parce que leur auteur n’a pas transfiguré le réel. “Quelle est la différence entre les photos de Depardon et certaines de qualité faites dans des clubs ? …/…
Autre façon de poser la question, est-ce que d’après vous ses photos évitent l’insolite sans pour autant être plates ?”
A la décharge des commentateurs, il faut préciser que le dispositif même de l’exposition fonctionne selon le même principe, avec une salle consacrée aux tirages, un couloir obscur permettant d’associer une légende aux images grand format vue dans la première salle, et enfin une salle regroupant le matériel de prises de vue, les cartes Michelins et les cahiers annotés de la main de Depardon construisant ainsi un récit sur le mode héroïque autour de la captation des images. Même la référence, très sommaire, à ses influences photographiques, Walker Evans et Paul Strand, relève plus de la citation que de la démonstration. Comme s’il fallait au travers de de l’évocation de ces photographes mythiques rassurer le visiteur sur le caractère artistique des photographies de Depardon.
Ces commentaires me font penser aux réaction que la photographie avait suscitée à sa naissance. Au milieu du XIXème siècle, on opposait encore la machine, à la main de l’homme. L’appareil photographique arrivait dans une société qui n’acceptait d’autre médiation que la main entre l’oeuvre et l’esprit de l’artiste. Là où la peinture était une reconstruction du réel dont les codes et la symbolique s’inscrivait dans l’histoire de notre civilisation, la photographie n’était en apparence qu’une reproduction mécanique et analogique du réel qui ne devait rien à l’art et tout à la technique et à une avancée scientifique.
Ingres a accueilli la photographie en déclarant : “Maintenant on veut mêler l’industrie à l’art. L’industrie nous n’en voulons pas. Qu’elle reste à sa place et ne vienne pas s’établir sur les marches de notre école d’Apollon, consacrée aux arts seuls de la Grèce et de Rome. “
Lamartine a déclaré en 1858: “La photographie cette invention du hasard qui ne sera jamais un art mais un plagiat de la nature par l’optique.”
Beaudelaire en faisant référence au succès foudroyant du portrait photographique au sein de la bourgeoisie du XIXème “cette classe des esprits non instruits et obtus qui jugent seulement des choses d’après leur contour”.
Et le pictorialisme, une des premières écoles photographiques, allait essayer d’ôter à la représentation photographique tout ce qu’elle pouvait avoir de mécanique en privilégiant l’intervention humaine, la main de l’homme, dans le résultat final et en simulant dans les images, la peinture et les eaux fortes.
Mais bon depuis 150 ans les choses ont quand même beaucoup évolué. Une photographie qui se revendique comme documentaire est désormais présente dans les musées. La conception que la société se fait de l’art et des artistes a également profondément évolué. Depuis “Fontaine” de Duchamp c’est l’artiste qui défini ce qui est une œuvre et ce qui n’en est pas une.
Et pourtant, les réactions suscitées par cette exposition nous montrent que la photographie reste toujours un peu suspecte, parce qu’elle est une reproduction mécanique et analogique du réel. Elle doute toujours un peu d’elle-même dès que l’objet de la représentation ou les procédés utilisés pour mettre en scène cette représentation ne lui donnent pas au premier regard un caractère exceptionnel, distinct de l’expérience sensible. Et même ceux qui ont été comme moi sensibles aux regard de Raymond Depardon, superbement mis en valeur par le dispositif de l’accrochage, se sentent obligés de justifier leur enthousiasme pour une photographie documentaire en évoquant le temps, les moyens et la sueur, comme si la contemplation de ces images ne suffisait pas à les distinguer des photographies réalisées par Monsieur tout le monde…
Le lien vers le site de la BNF
Bonjour,
Au fil des images, on remarque bien des défauts.
Ratés de tirage, traitement et accentuation très… poussés, aplats de couleurs, perspectives pas toujours bien redressées, netteté discutable…
On voit quand même de très belles images, ne boudons pas notre plaisir.
(Leur intérêt dépend de chacun)
Il a utilisé des plans film 8×10 pouces.
Objectif Nikkor, obturateur Copal.
Et je n’ai pas noté la marque de la chambre et encore moins la focale !
Qui peut donner cette information ?
L’expo gratuite qui mène à celle de Depardon, sur le même thème, vaut à elle seule la visite.
Je n’ai pas noté la marque de la chambre bien qu’elle soit exposée à la BNF, mais ça m’a fait l’effet d’être une antiquité. (Chambre en bois). Et je n’ai même pas chercher à voir la focale et la marque utilisée, car c’était évidant pour moi qu’il avait travaillé avec différentes focales. Mais vous avez raison de vous poser la question, et s’il n’a utilisé qu’une focale, c’est une information essentielle. Ce n’est plus la France au 20×25 vue par Depardon, mais le France vue par Depardon au 360mm (ou toute autre longueur focale).
Je vous trouve un peu dur sur les nettetés et les perspectives, même si je partage votre avis sur l’accentuation très poussée. En même temps, cette accentuation très poussée, en mettant en évidence le caractère numérique des tirages, est aussi une façon de les dater.
Je partage votre avis sur l’expo gratuite. J’ai découvert plusieurs photographes que je ne connaissais pas et dont le travail m’a beaucoup plus.
Bonsoir, j’aimerais poser une question au sujet de cette exposition. En effet la présence de l’homme est très faible sur les clichés mais c’est également le cas de l’industrie n’est ce pas ? Pourquoi le secteur terciaire est il beaucoup photographié contrairement a l’industrie (je fais allusion à la photo avec une centrale au dernier plan qu’est ce que cela signifie pour Depardon? Merci.
C’est difficile de répondre pour Depardon Nina. 🙂
D’une manière générale, cette France qui a été représentée par Depardon, est singulièrement vide. C’est celle d’une France un peu abandonnée, en voie de désertification, que l’on connait parce qu’on la traverse, mais que l’on ne regarde pas. Il y a peu d’êtres humains à la fois parce que ce n’était pas le sujet de Depardon, et à la fois parce que les hommes sont de moins en moins présents dans ces paysages.
Mais ça n’empêche que comme toute photo présentant des lieux où vivent et travaillent des hommes, l’exposition de Depardon participe de la célèbre question “Est-ce ainsi que les hommes vivent?”.
Pour répondre plus précisément à ton interrogation sur la sous-représentation du secteur industriel chez Depardon ou ailleurs, c’est tout simplement parce que la France se désindustrialise.
Et lorsqu’il reste des industries, elles tournent avec toujours moins d’hommes. Lorsque j’ai photographié cette usine en 2006 http://blog.dehesdin.com/petits-objets-multimedias/la-tiru/ , elle tournait avec je crois plus de 150 personnes. Elle a été fermée et remplacée par une usine moderne, aux capacités équivalentes, en avance sur les futures normes environnementales, mais qui tourne avec je crois moins de 50 personnes.